Les Grands Lacs influencent et régulent directement les conditions météorologiques régionales en modérant les températures saisonnières et en générant des précipitations locales grâce aux effets du lac (Mortsch, 2016; McDermid et coll., 2015b; Gula et Peltier, 2012). Ces dernières années, les impacts des changements climatiques se sont manifestés par des modifications de la couverture de glace et des températures de l’eau (Zuzek, 2020; Bonsal et coll., 2019; Derksen et coll., 2019; Byun et Hamlet, 2018; Di Liberto, 2018). Les modifications de la couverture de glace et des niveaux d’eau ont été examinées dans le cadre de cette évaluation (voir le chapitre Évolution de la neige, de la glace et du pergélisol à l’échelle du Canada et le chapitre Évolution de la disponibilité de l’eau douce à l’échelle du Canada dans le Rapport sur le climat changeant du Canada).
Au cours de la période allant de 1973 à 2010, le réchauffement de la température de l’air a contribué à un déclin de 71 % de la couverture de glace moyenne annuelle dans l’ensemble des Grands Lacs, les plus grands déclins se produisant sur lac Ontario, le lac Supérieur et le lac Michigan (Derksen et coll., 2019; Mason et coll., 2016; Wang et coll., 2012). Les années de glace dense de 2014, 2015 et 2018 ont masqué toute tendance apparente, de sorte que l’enregistrement est marqué par grande variation d’une année à l’autre sans aucune tendance à long terme (voir la figure 3.10; Derksen et coll., 2019). Les projections de la couverture de glace future pour le lac Ontario et le lac Érié indiquent des conditions presque sans glace d’ici le milieu ou la fin du 21e siècle selon le scénario RCP 8.5 (Zuzek, 2020; Hewer et Gough, 2019). La couverture de glace saisonnière est un facteur important qui a une incidence sur la formation des vagues, l’érosion des berges, l’évaporation et le niveau des lacs (Zuzek, 2020; Zuzek, 2019; Lenters et coll., 2013).
Au cours du siècle dernier, les niveaux d’eau des Grands Lacs ont fluctué sous l’effet de la variabilité naturelle, des interventions humaines (p. ex. les dérivations de retenue) et des changements climatiques. Dans les dernières années, on a enregistré des niveaux record, tant bas que hauts. De 1998 à 2013, des niveaux d’eau inférieurs à la moyenne ont été enregistrés dans tous les lacs, avec des baisses notables dans les lacs Michigan et Huron au cours de l’hiver 2012–2013. Ces baisses ont été suivies d’une augmentation rapide des niveaux d’eau à partir de 2014, en grande partie attribuée à la diminution des taux d’évaporation et à l’augmentation des précipitations régionales (Derksen et coll., 2019; Gronewold et coll., 2016). En juillet 2019, chaque lac était proche ou au-dessus des niveaux d’eau record, les lacs Supérieur, Érié et Ontario ayant atteint des valeurs record (voir le tableau 3.3). Les niveaux d’eau élevés ont accéléré l’érosion des berges et provoqué des inondations tout au long de l’été 2019 (Seglenieks et Caldwell, 2019). La variabilité annuelle et pluriannuelle des niveaux des lacs devrait demeurer importante, avec un risque d’augmentation des fourchettes (Bonsal et coll., 2019; McDermid et coll., 2015b; Gronewold et coll., 2013; MacKay et Seglenieks, 2013). Comme les niveaux d’eau extrêmes et imprévisibles impliquent des coûts économiques importants (p. ex. Shlozberg et coll., 2014), une gestion des niveaux d’eau extrêmes, tant élevés que bas, le long des berges de l’Ontario sera nécessaire à l’avenir.
Depuis 1980, les températures annuelles des eaux de surface des Grands Lacs ont connu une augmentation de 0,02 °C à 0,06 °C par an (United States Environmental Protection Agency et Environnement et Changement climatique Canada, 2021). La tendance est graduelle, mais régulière, les augmentations récentes étant dues au réchauffement pendant les mois de printemps et d’été (NOAA, 2021; United States Environmental Protection Agency et Environnement et Changement climatique Canada, 2021). La température des eaux de surface est influencée par de nombreux facteurs, notamment les températures régionales de l’air, le rayonnement solaire et la couverture de glace de l’hiver précédent (United States Environmental Protection Agency et Environnement et Changement climatique Canada, 2021; Zhong et coll., 2016). Même si les projections de la température de l’eau sont plus complexes que celles de la température de l’air, les modèles indiquent que les températures de l’eau de surface dans l’ensemble des Grands Lacs continueront d’augmenter dans le contexte des changements climatiques (Wuebbles et coll., 2019; Xiao et coll., 2018; McDermid et coll., 2015b).
La prolongation de la saison sans gel et l’augmentation des températures des eaux de surface ont entrainé une stratification au printemps plus précoce et une stratification automnale plus tardive des lacs, ce qui prolonge la période entre les renouvellements (Wuebbles et coll., 2019; Angel et coll., 2018; McDermid et coll., 2015b). Le processus physique de renouvellement permet à l’oxygène dissous et aux éléments nutritifs de circuler et de se mélanger verticalement. Lorsque la durée entre les épisodes de renversement s’allonge, le mélange vertical d’oxygène dissous et d’éléments nutritifs est moindre, ce qui a un impact sur la qualité de l’eau et la fonction biologique (Anderson et coll., 2021; Xiao et coll., 2018; McDermid et coll., 2015b). Pendant les hivers chauds de 2012 et 2017, les températures des eaux de surface dans certaines parties du lac Ontario ne sont pas descendues en dessous de 4 °C (la densité maximale de l’eau). Par conséquent, le processus de renversement n’a pas été initié, ce qui a entrainé un mélange insuffisant d’oxygène et d’éléments nutritifs (Wuebbles et coll., 2019; Angel et coll., 2018; McDermid et coll., 2015b). Lorsque les périodes entre les stratifications sont plus longues, cela peut s’avérer préjudiciable aux espèces d’eaux froides qui sont poussées plus près de la surface pour obtenir une quantité adéquate d’oxygène, mais par la suite confrontées à des conditions thermiques inadéquates (Collingsworth et coll., 2017; Lynch et coll., 2016; Dove-Thompson et coll., 2011; Minns et coll., 2011).
Le réchauffement des températures des eaux de surface, associé à l’augmentation du ruissellement des éléments nutritifs et des sédiments résultant des changements d’affectation des terres (développement urbain, perte ou conversion des milieux humides, etc.), offre des conditions optimales pour la croissance des algues, ce qui augmente la probabilité et l’ampleur des épisodes de prolifération d’algues (Wuebbles et coll., 2019; McDermid et coll., 2015b; d’Orgeville et coll., 2014). Les cyanotoxines présentes dans les proliférations d’algues peuvent avoir des répercussions importantes sur la santé humaine. En l’absence de systèmes appropriés de filtration de l’eau potable, ou en cas d’exposition accidentelle, ces toxines peuvent provoquer divers symptômes, comme des douleurs abdominales, des nausées, des vomissements, des diarrhées, des maux de gorge et une toux sèche (Chorus et Bartram, 1999). Le lac Érié, qui est le lac le moins profond des Grands Lacs laurentiens, a été particulièrement vulnérable aux proliférations d’algues et a connu une baisse de la qualité de l’eau ces dernières années en raison de l’augmentation des températures de l’eau de surface et de la charge en éléments nutritifs (Wuebbles et coll., 2019; d’Orgeville et coll., 2014). Le réchauffement continu de l’eau et l’apport d’éléments nutritifs provenant des exploitations agricoles laissent penser que la prévalence des proliférations d’algues pourrait encore augmenter. Pour faire face à ce risque, le Plan d’action Canada-Ontario pour le lac Érié de 2018 a cerné plus de 120 mesures pour aider à atteindre l’objectif de réduire de 40 % le phosphore entrant dans le lac Érié d’ici 2025 (Environnement et Changement climatique Canada et le ministère de l’Environnement et de l’Action en matière de changement climatique de l’Ontario, 2018).
Le bassin des Grands Lacs fournit un habitat à plus de 3 500 espèces végétales et animales, y compris les trois guildes thermiques d’espèces de poissons (espèces d’eau froide, d’eau tempérée et d’eau chaude), car elles coexistent dans des eaux à stratification thermique (Wuebbles et coll., 2019; Milner et coll., 2018a). Les impacts des changements climatiques exacerbent les menaces écologiques non climatiques, notamment la perte d’habitat, la pollution et les espèces envahissantes résultant de l’activité humaine (Mortsch, 2016; McDermid et coll., 2015b). Ces impacts augmenteront les risques pour les poissons, les oiseaux migrateurs et d’autres espèces indigènes qui dépendent d’écosystèmes aquatiques et côtiers sains et résilients (Conseil de la qualité de l’eau des Grands Lacs de la Commission mixte internationale, 2017; Chu, 2015; McDermid et coll., 2015b).
Les impacts physiques sur les Grands Lacs devraient avoir des répercussions sur la fonction de l’écosystème aquatique, notamment sur une série de processus, y compris les cycles et l’absorption des éléments nutritifs, les indices phénologiques, la productivité des lacs et la turbidité et les conditions du substrat (Collingsworth et coll., 2017; Alofs et coll., 2014). Les recherches indiquent que la composition des communautés de poissons dans les Grands Lacs changera à mesure que l’habitat d’eau froide deviendra limité pour les espèces indigènes d’eau froide et que les espèces d’eau chaude étendront leurs aires de répartition vers le nord (Collingsworth et coll., 2017; Alofs et coll., 2014; Sharma et coll., 2008; 2007). Plusieurs facteurs pourraient aggraver ces impacts, notamment l’inadéquation prédateur-proie, le métabolisme et le taux de croissance des espèces de poissons, l’altération de la disponibilité de l’oxygène dissous et l’incidence accrue des maladies, des agents pathogènes et des espèces envahissantes (voir la section 3.3; Collingsworth et coll., 2017; Chu, 2015; McDermid et coll., 2015b).
La modification de la dynamique des lacs et le réchauffement des températures augmenteront le risque d’introduction de nouvelles espèces et d’expansion des espèces envahissantes existantes (p. ex. la lamproie de mer, les moules zébrées et quagga, et les phragmites), des agents pathogènes et des maladies, à mesure que les aires de répartition se déplacent vers le nord (Pagnucco et coll. 2015; Chu et coll., 2015; Wuebbles et coll., 2019; McDermid et coll., 2015b). Les milieux humides côtiers du bassin ont été désignées comme faisant partie des écosystèmes les plus vulnérables aux changements climatiques dans le sud de l’Ontario (voir la section 3.3; Chu, 2015; McDermid et coll., 2015b; Environnement et Changement climatique Canada, 2021).