La sécurité de l’eau a des répercussions directes sur l’eau potable et les systèmes d’approvisionnement en eau, les aliments et les systèmes alimentaires, les pratiques culturelles et spirituelles, ainsi que les loisirs. L’accès à une eau potable d’une qualité appropriée et en quantité suffisante pour préserver la santé et le bien-être est une composante essentielle de la sécurité de l’eau. De même, l’eau est essentielle à la production alimentaire (p. ex., irrigation des cultures, maintien de stocks de poissons sains, etc.) et à la transformation des aliments (p. ex., fabrication d’aliments transformés, nettoyage des légumes avant leur distribution pour la vente, cuisson, etc.). La température de l’air, la température de l’eau et les précipitations sont les variables climatiques les plus importantes qui influent sur l’apparition de maladies d’origine alimentaire (Smith et Fazil, 2019) (voir le chapitre 8 : Salubrité et sécurité des aliments). Des onze principaux agents pathogènes d’origine alimentaire déterminés par Smith et Fazil (2019) à examiner dans le contexte des changements climatiques au Canada, six sont influencés, en partie, par les précipitations, la sécheresse et la température de l’eau.
Certaines régions du Canada connaissent déjà des périodes d’insécurité en matière d’approvisionnement en eau, en raison des impacts sur la qualité de l’eau et des pénuries d’eau. Par exemple, en 2019, la ville d’Iqaluit, au Nunavut, a fait face à une pénurie sans précédent d’eau de source après avoir connu un été marqué par des précipitations historiquement faibles (Bell, 2019). À mesure que le climat continue de se réchauffer, et en l’absence de mesures d’adaptation efficaces, les craintes liées à la sécurité de l’eau et à la santé humaine risquent de s’accroître. Les responsables des politiques en santé publique et de gestion de l’eau, les chercheurs et les décideurs ont tous un rôle à jouer dans la protection et la promotion de la santé, et ce, en s’efforçant d’atteindre ou de maintenir la sécurité de l’eau.
7.3.4.1 L’eau et le système alimentaire
L’eau, lorsqu’elle est disponible en quantité suffisante et que sa qualité est suffisante, est essentielle à la production alimentaire et est également utilisée aux fins de nettoyage, d’assainissement et de fabrication dans le système alimentaire (Kirby et coll., 2003). Les opérations de transformation des aliments nécessitent de très grandes quantités d’eau (Compton et coll., 2018). La variabilité de l’approvisionnement en eau pourrait perturber les activités de transformation des aliments et avoir des perturbations à long terme sur la sécurité alimentaire. L’eau peut également servir de véhicule pour la transmission de la contamination chimique et microbienne des aliments pendant le traitement (Kirby et coll., 2003). Les principales manières dont les changements climatiques peuvent influer sur la transformation des aliments par le truchement de l’eau comprennent notamment l’augmentation de la fréquence et de la durée des périodes de sécheresse, ce qui peut entraîner une réduction de l’accès à l’eau nécessaire aux activités de transformation; l’inondation des champs agricoles avec de l’eau contaminée; et la contamination de l’eau utilisée dans la transformation des aliments, par exemple à cause des eaux de crue qui entraînent les contaminants dans les sources d’eau (Delpla et coll., 2009; Schnitter et Berry, 2019). Les impacts de l’une ou l’autre de ces possibilités nécessiteraient de modifier les étapes actuelles de l’Analyse des risques et de la maîtrise des points critiques (HACCP) utilisées pour prévenir les maladies d’origine alimentaire au Canada (Agence canadienne d’inspection des aliments, 2012). Les entreprises alimentaires canadiennes sont tenues d’avoir un plan de salubrité des aliments, et le HACCP est un outil clé pour en élaborer. Dans l’approche de HACCP, l’eau est utilisée pour la transformation et le nettoyage des aliments, pour éliminer les contaminants chimiques et microbiens qui se trouvent sur la viande, les fruits et légumes ou d’autres matières premières.
L’eau est un véhicule potentiel de transmission directe des contaminants chimiques et microbiens aux aliments pendant le traitement. Les contaminants chimiques peuvent inclure les métaux lourds, les polluants domestiques et industriels, les pesticides et les nitrates. Les contaminants microbiens peuvent inclure des bactéries pathogènes, telles que celles de type Escherichia coli producteur de vérotoxigène, des parasites tels que Toxoplasma gondii, des protozoaires tels que Cryptosporidium, et des virus tels que le norovirus. Comme il a été mentionné dans les sections précédentes, les événements météorologiques extrêmes associés aux changements climatiques peuvent favoriser le déplacement des produits chimiques et des agents pathogènes du milieu ambiant vers les sources d’eau à des niveaux plus élevés que d’habitude, ce qui risque de compromettre les méthodes de traitement existantes.
L’eau traitée par la municipalité et l’eau d’origine privée sont utilisées dans la transformation des aliments. Ces sources d’eau sont généralement traitées pour prévenir certains dangers chimiques et microbiens, mais elles ne sont pas sans risque (Kirby et coll., 2003). L’eau qui n’est pas traitée ou qui est traitée de façon inefficace avant d’être utilisée pour la transformation des aliments peut transmettre des contaminants directement aux aliments. Les éclosions de maladies d’origine alimentaire ont été attribuées à l’utilisation d’eau contaminée pendant la transformation des aliments (Kirby et coll., 2003). Même la présence de niveaux extrêmement faibles d’un agent pathogène dans l’eau peut entraîner une exposition dangereuse pour l’homme par les aliments. Dans des conditions optimales, le transfert d’une seule cellule pathogène à un aliment pourrait entraîner une dose infectieuse qui parviendrait à atteindre le consommateur, car l’agent pathogène peut se développer à partir de la période de transformation des aliments jusqu’à leur consommation, en passant par la distribution, la vente au détail et l’entreposage (voir le chapitre 8 : Salubrité et sécurité des aliments). Avec les méthodes courantes de traitement des aliments, il est très difficile de neutraliser complètement tous les agents pathogènes possibles. Certains produits alimentaires, comme les légumes-feuilles, sont plus susceptibles de causer des maladies, parce qu’ils sont peu transformés et qu’ils sont plus susceptibles d’être consommés crus (Jung et coll., 2014). Étant donné qu’on attribue déjà aux petits SAEP privés une plus grande part des éclosions de maladies d’origine hydrique qu’aux grands systèmes, les entreprises de transformation des aliments desservies par ces systèmes sont plus à risque (Moffatt et Struck, 2011).
En plus de la contamination alimentaire due à l’utilisation d’eau contenant des agents pathogènes nuisibles, les pénuries d’eau peuvent également nuire à la transformation d’aliments comme la viande, les fruits et les légumes; des catégories qui ont été associées à des éclosions de maladies microbiennes d’origine alimentaire au Canada (Ravel et coll., 2009). Les pénuries d’eau peuvent compromettre la santé humaine en limitant la capacité à éliminer les contaminants des aliments. Par exemple, les restrictions concernant l’utilisation de l’eau pour le nettoyage et la désinfection pourraient entraîner une élimination moins efficace des contaminants. Pendant les périodes où la quantité d’eau est limitée, s’il n’est pas possible de recourir à d’autres interventions ou procédures pour traiter les aliments, l’accès restreint à des aliments sûrs et nutritifs pourrait compromettre la sécurité alimentaire et la santé humaine.
Le risque que représente une pénurie d’eau pour la transformation des aliments a une composante saisonnière et est plus élevé pendant l’été, lorsque la demande d’eau à toutes fins est la plus importante (Wiener et coll., 2016). Cette période de l’année est également optimale pour la survie de nombreux agents pathogènes dans l’environnement, car des températures plus élevées favorisent la prolifération (Smith et Fazil, 2019). Bien que les risques pour la transformation des aliments soient les plus élevés dans le sud du Canada, en fonction de l’exportation des aliments et des chaînes d’approvisionnement, les impacts locaux ou régionaux des pénuries d’eau sur la transformation des aliments peuvent se faire sentir à l’échelle nationale.
Près de 30 % des aliments consommés au Canada sont importés d’autres pays, et la majorité des aliments importés proviennent des États-Unis (Statistique Canada, 2009). Les impacts des changements climatiques sur la disponibilité et la qualité de l’eau peuvent également avoir une incidence sur la transformation des aliments dans d’autres pays qui exportent des aliments au Canada. Ces impacts sont propres à la région, à la denrée et aux contaminants possibles et pourraient ultimement avoir une incidence sur la santé publique du Canada.
7.3.4.1.1 Pêche et aliments aquatiques
On s’attend à ce que les changements climatiques aient des conséquences sur les sources de nourriture marine, en raison des effets de la température sur les écosystèmes marins (par exemple, les modifications du microbiote et des autres espèces se trouvant plus haut dans la chaîne alimentaire), de l’acidification des océans, des événements de précipitations extrêmes et du ruissellement subséquent des terres cultivées lié à la charge en éléments nutritifs. La consommation de poissons et de mollusques crus ou insuffisamment cuits contaminés comporte un risque d’infection par des virus, des bactéries, des parasites et des toxines.
Les espèces de Vibrio sont des bactéries naturellement présentes dans les eaux océaniques du monde entier, y compris les eaux côtières du Pacifique et de l’Atlantique du Canada. Les espèces communes sur les côtes du Pacifique et de l’Atlantique comprennent les espèces V. parahaemolyticus (Vp), V. vulnificus, V. fluvialis, V. alginolyticus et V. cholerae non toxigène (Banerjee et coll., 2018). Vp est l’espèce la plus fréquemment associée aux maladies liées aux mollusques au Canada. S’il est ingéré, Vp peut causer de la diarrhée, des vomissements, de la nausée et de la fièvre durant un à sept jours, et, dans de rares cas, la mort (British Columbia Centre for Disease Control [BC CDC], 2020). La majorité des infections à Vp sont causées par la consommation d’huîtres crues issues de la pêche commerciale ou récoltées par le consommateur lui-même. D’autres voies d’exposition comprennent le fait de submerger accidentellement des plaies ou ses oreilles dans de l’eau de mer contaminée ou de l’avaler.
La présence de Vp et d’autres espèces de Vibrio dans les mollusques bivalves sur les côtes du Pacifique et de l’Atlantique du Canada a augmenté entre 2006 à 2009 et 2010 à 2013 (Banerjee et coll., 2018). Chaque année, de 30 à 70 infections humaines sont signalées en Colombie-Britannique, ainsi qu’un petit nombre dans d’autres régions du pays (BC CDC, 2020). Pour chaque cas de Vp signalé au Canada, 92 autres cas sont présumés être survenus dans la collectivité touchée (Thomas et coll., 2013). Les espèces V. fluvialis et V. alginolyticus entraînent chacune de zéro à quatre cas acquis localement par an en Colombie-Britannique (Khaira et Galanis, 2007; BC CDC, 2020), qui se présentent généralement comme une maladie gastro-intestinale aiguë. V. vulnificus peut causer une infection grave, y compris une septicémie primaire et des infections nécrosantes des tissus mous. Les cas d’infections à V. vulnificus acquises localement sont extrêmement rares au Canada; seulement cinq déclarations de cas ont été publiées (Abbott, 1986; Kelly, 1991; Vinh et coll., 2006; Bigham et coll., 2008).
D’importantes éclosions de Vp en Colombie-Britannique ont entraîné la fermeture de zones de récolte de mollusques et l’interdiction de vendre des huîtres crues dans les restaurants. Ces mesures peuvent menacer à la fois la viabilité économique de l’industrie de la récolte des mollusques et la viabilité de l’utilisation de la source alimentaire (Fyfe et coll., 1997; Taylor et coll., 2018). D’autres espèces de Vibrio sont pathogènes pour les mollusques et les poissons, et peuvent également avoir des impacts économiques importants (Paillard et coll., 2004).
Les espèces de Vibrio sont thermophiles, ce qui signifie qu’elles préfèrent des températures plus élevées; par conséquent, la température de la mer en surface est le facteur de prédiction environnemental le plus important des concentrations de Vibrio. Des températures plus élevées entraînent des concentrations plus élevées de Vibrio dans l’eau de mer et les huîtres et, par extension, des taux accrus de maladies humaines (Cook et coll., 2002; Parveen et coll., 2008; Haley et coll., 2014; Konrad et coll., 2017). Le seuil de température de la mer en surface pour la prolifération de l’espèce Vp est d’environ 15 °C (Khaira et Galanis, 2007; Konrad et coll., 2017), ce qui signifie que la majorité des infections à Vibrio contractées localement au Canada surviennent pendant les mois d’été.
Bien que le cycle biologique des espèces de Vibrio, à l’exception du choléra toxigène, ne soit pas bien compris, on sait que les espèces de Vibrio se fixent aux organismes contenant de la chitine, en particulier les zooplanctons, qui sont considérés comme leur réservoir naturel (Vezulli et coll., 2010). La variation saisonnière des concentrations de Vibrio dépend à la fois de la température de la mer en surface et de la composition du réservoir de plancton (Turner et coll., 2009). La concentration de Vibrio est directement liée à certains stades de croissance du zooplancton à la suite de proliférations phytoplanctoniques qui se produisent à des températures plus chaudes (Turner et coll., 2009).
Le réchauffement continu des températures océaniques et l’extension des conditions estivales qui en découle, sous l’effet des changements climatiques, augmentent le risque de prolifération de Vibrio dans les eaux océaniques. Cela peut entraîner une accumulation accrue dans les mollusques bivalves et, par conséquent, un risque accru pour les humains. Le taux des cas de maladies liées à la bactérie Vp ont augmenté pendant de nombreuses années, en corrélation avec une lente augmentation de la température de la mer en surface; il y a également eu de grandes éclosions qui se sont produites pendant quelques mois à la suite d’anomalies à court terme de la température de la mer en surface (Martinez-Urtaza et coll., 2010). Dans l’océan Atlantique Nord, le réchauffement de l’hémisphère Nord et l’oscillation atlantique multidécennale sont associés à l’augmentation de la présence de Vibrio dans l’eau au cours des 50 dernières années (Vezzulli et coll., 2016). Une augmentation plus rapide de l’incidence de Vibrio a été observée à des latitudes plus élevées (Logar-Henderson et coll., 2019). Cela peut être dû au rejet d’eau de ballast pendant une période de temps plus chaud que d’habitude (McLaughlin et coll., 2005) ou à l’introduction de nouvelles souches de Vp dans les eaux chaudes provenant d’autres régions lors de grands phénomènes climatiques comme El Niño (Martinez-Urtaza et coll., 2010).
L’espèce V. cholerae non toxigène est en train d’émerger au Canada dans les mollusques bivalves. Sur la côte de l’Atlantique, elle a été trouvée dans 1 % des échantillons prélevés entre 2006 et 2013 et dans 20 % des échantillons prélevés entre 2014 et 2016; sur la côte du Pacifique, elle est passée de 1 % en 2006 à 2009 à 5 % en 2010 à 2013 (Banerjee et coll., 2018). Les maladies humaines causées par l’espèce V. cholerae non toxigène d’origine locale sont rares : en 2018, trois cas confirmés ont été signalés sur l’île de Vancouver (CBC, 2019). L’incidence croissante des maladies liées à Vibrio a également été observée en Europe et aux États-Unis (Newton et coll., 2012; Baker-Austin et coll., 2013). Il est possible qu’avec l’aggravation du réchauffement, l’incidence des maladies liées à Vibrio continue d’augmenter (voir le chapitre 8 : Salubrité et sécurité des aliments).
7.3.4.2 Impacts sur les infrastructures
L’exploitation fiable de l’infrastructure hydraulique est essentielle à la santé. Les systèmes d’approvisionnement en eau potable, de traitement des eaux usées et de gestion des eaux de ruissellement sont interdépendants et peuvent être touchés par les impacts des changements climatiques, lesquels ont des réactions en chaîne entre eux. Aux fins du présent chapitre, les SAEP comprennent les installations de production d’eau potable et d’eaux usées et l’infrastructure nécessaire pour transporter l’eau de la source jusqu’au lieu de traitement, puis jusqu’aux consommateurs, et enfin, jusqu’au lieu de traitement des eaux usées et jusqu’au point de rejet. Si les SAEP deviennent inexploitables ou inefficaces, la sécurité de l’eau, et par conséquent, la santé humaine, risquent de se détériorer. L’eau potable contaminée ou les systèmes d’approvisionnement en eau inefficaces augmentent le risque de maladies transmissibles (Alderman et coll., 2012). Par exemple, les événements de pluie extrêmes peuvent avoir une incidence sur la capacité des exploitants de réseaux d’aqueduc de réduire la turbidité, ce qui est connu pour avoir des impacts sur la santé, par exemple la possibilité de contracter la gastroentérite aspécifique (Aramini et coll., 2000; Schwartz et coll., 2000; Charron et coll., 2004). Les SAEP sont donc l’une des principales défenses contre l’insécurité hydrique et les conséquences sanitaires qui en découlent.
Le Bulletin de rendement des infrastructures canadiennes de 2019 a révélé qu’au Canada, dans l’ensemble, environ 70 % des infrastructures d’eau potable (c.-à-d. les conduites d’eau et d’acheminement de l’eau locales, les installations de traitement de l’eau, les stations de pompage d’eau, les réservoirs d’eau) sont en très bon état (30 %) ou en bon état (40 %), et que 25 % sont en état acceptable, mauvais ou très mauvais. De plus, environ 55 % à 65 % des infrastructures de traitement des eaux usées sont en très bon ou en bon état. La condition d’environ 15 % des actifs linéaires d’eaux usées (c’est-à-dire les conduites d’égout et les conduites de refoulement sanitaire) est inconnue, car ils sont souterrains. En ce qui concerne les infrastructures d’eaux de ruissellement, on estime qu’environ 40 % à 60 % d’entre elles sont en bon ou très bon état, mais d’importantes lacunes existent en raison de la collecte limitée de données sur leur état (BluePlan Engineering, 2019).
Les SAEP du Canada n’ont pas été conçus en tenant compte des impacts des changements climatiques, et sont considérés comme faisant partie des infrastructures les plus vulnérables aux dangers climatiques, notamment les événements extrêmes (inondations, sécheresses et tempêtes), la dégradation du pergélisol dans les régions nordiques et la baisse des niveaux d’eau dans de nombreuses régions du pays en raison de la hausse des températures et de l’intrusion d’eau salée (Lemmen & Warren, 2004; Moffat & Struck, 2011; Luh et al., 2017). Un sondage mené en 2012 auprès de 53 services de distribution d’eau canadiens par l’Association canadienne des eaux potables et usées a révélé que seulement 30 % des répondants étaient conscients des impacts potentiels des changements climatiques, et que plus de la moitié (56 %) n’avaient pas de plans opérationnels pour faire face aux impacts des changements climatiques (Brettle et coll., 2015).
L’infrastructure d’eau potable peut être affectée ou dépassée par les aléas des changements climatiques à bien des égards. Par exemple, la qualité de l’eau qui pénètre dans un système de traitement de l’eau peut être altérée par une inondation (p. ex., contaminants provenant de régions rurales ou urbaines) ou par un feu de forêt (p. ex., ruissellement de carbone organique et d’azote); ces événements pourraient avoir une incidence directe sur l’infrastructure physique elle-même. Si le traitement de l’eau et la modernisation de l’infrastructure sont nécessaires (p. ex., utilisation d’un plus grand nombre de produits chimiques comme le chlore), les coûts augmenteront pour les municipalités (Andrey et coll., 2014). Des études de cas menées au Manitoba (Genivar, 2007) et à Terre-Neuve-et-Labrador (Conseil canadien des ingénieurs, 2008) ont permis de cerner les risques potentiels pour le fonctionnement des systèmes de traitement de l’eau (prétraitement, adoucissement et clarification, désinfection, entreposage, entreposage des produits chimiques, vannes et tuyaux) liés aux aléas climatiques que représentent les inondations, les températures élevées, les pluies intenses, la sécheresse, les tempêtes de verglas et les vents intenses, par exemple.
De nombreuses villes plus anciennes utilisent encore une conception de « déservoir d’orage » qui intègre les systèmes de gestion des eaux de ruissellement et les systèmes d’égouts sanitaires. Une augmentation des événements de fortes précipitations, des précipitations de pluie sur la couverture neigeuse ou du gélisol augmentera les risques d’impacts des eaux de ruissellement sur les systèmes sanitaires, ce qui pourrait submerger les systèmes (Andrey et coll., 2014) et augmenter le risque de rejet d’eaux usées non traitées dans les cours d’eau et les lacs adjacents (Madoux-Humery et al., 2016). Cela peut entraîner la contamination du SAEP municipal lui-même, si une prise d’eau est située à proximité, et cela peut également entraîner la contamination des plans d’eau utilisés pour les activités de loisirs. À Montréal, au Canada, une étude menée sur 10 ans a révélé que 80 % des pics de mesure d’E. coli à deux prises d’eau potable municipales le long du fleuve Saint-Laurent étaient liés à des débordements d’égouts unitaires provoqués par 10 mm de pluie ou de fonte des neiges (Madoux-Humery et al., 2016). Les enquêteurs ont pu démontrer que la contamination fécale était d’origine humaine. Les conceptions d’égouts modernes séparent les eaux de ruissellement des eaux usées domestiques afin d’éviter ce problème, mais, malgré cela, les eaux de ruissellement à elles seules peuvent être une source d’agents pathogènes en raison des réservoirs d’agents pathogènes qui existent dans l’environnement bâti (Turgeon et al., 2011).
On a également observé que la hausse du niveau de la mer associée aux changements climatiques modifiait le débit des eaux souterraines dans les villes côtières des États-Unis, ce qui entraînait une probabilité accrue de débordement des égouts à mesure que l’élévation des eaux souterraines pénètre dans l’infrastructure d’égouts vieillissante ou s’accumule dans des zones de haute perméabilité (p. ex., dans les matériaux de remplissage utilisés pendant la construction) (Rossi & Toran, 2019). Outre les précipitations de pluie, les débordements d’égouts unitaires sont également touchés par le changement de l’aménagement du territoire et par les modifications de l’hydrologie locale dues à la croissance urbaine (Jalliffier-Verne et al., 2015). Les possibilités de réduire la probabilité de débordements comprennent l’aménagement urbain qui diminue la superficie des surfaces imperméables et la charge globale sur les systèmes d’eaux de ruissellement vieillissants en réduisant la quantité d’eau qu’ils doivent transporter vers les réseaux fluviaux. Cette pratique aiderait toutes les villes, qu’elles aient ou non des débordements d’égouts unitaires, à réduire le transfert de contaminants biologiques et chimiques de la ville vers les cours d’eau adjacents, ainsi qu’à augmenter l’alimentation de la nappe souterraine.
Même après que l’eau a été traitée selon les normes relatives à l’eau potable, elle peut encore être contaminée après avoir quitté l’installation de traitement et traversé le réseau. Dans les grands réseaux, ce risque est généralement atténué par une désinfection consécutive au traitement. Les épisodes de basse pression d’eau ont été associés à un taux élevé de maladies gastro-intestinales aiguës dans les anciens SAEP qui contiennent des conduites d’eau fissurées et endommagées, qui sont susceptibles d’être adjacentes aux conduites d’égout (Gargano et al., 2015). Dans les endroits où les conduites d’égout longent les conduites d’eau, si des fuites se forment sur les deux conduites, la seule méthode de protection consiste à maintenir une pression élevée dans la conduite d’eau par rapport à celle de la conduite d’égout. Les fortes précipitations associées aux changements climatiques peuvent exercer une pression supplémentaire sur les infrastructures vieillissantes et les rendre plus vulnérables aux défaillances, ce qui augmente la probabilité que se produisent de tels incidents de basse pression (Luh et al., 2017). Les SAEP atténuent généralement certaines pressions liées à la sécheresse, à la diminution du débit des cours d’eau et à l’épuisement des aquifères en faisant un meilleur usage des sources d’eau disponibles (par exemple, la conservation de l’eau). Des initiatives plus larges de protection des sources d’eau, tant pour les eaux de surface que pour les eaux souterraines, viennent appuyer ces efforts.
Les petites collectivités peuvent être plus vulnérables aux impacts des changements climatiques sur la sécurité de l’eau en raison de déficits dans les infrastructures des systèmes d’approvisionnement en eau, ainsi que du manque de ressources technologiques, financières et liées à la formation (Moffat et Struck, 2011). Pour ce qui est des SAEP, 8,7 % d’entre eux qui desservent environ 4 millions de Canadiens et de Canadiennes, n’ont recours à aucun traitement (données de 2006-2007) et dépendent principalement des eaux souterraines, ce qui aggrave les conséquences des changements climatiques sur la sécurité de l’approvisionnement en eau (Statistique Canada, 2013). Cette dépendance à l’égard des sources d’eau souterraine peut exercer une pression accrue sur ces systèmes en période de pénurie d’eau prolongée et, en particulier pour les systèmes qui dépendent de sources uniques, augmente l’urgence de la protection des sources d’eau. Bon nombre de ces SAEP desservent de petites
7.3.4.2.1 Systèmes d’approvisionnement en eau dans les collectivités autochtones
L’accès à de l’eau potable salubre constitue un défi pour de nombreuses collectivités autochtones du Canada. Par exemple, en date du 15 février 2020, 61 collectivités des Premières Nations faisaient l’objet d’un avis à long terme (plus d’un an) concernant la qualité de l’eau potable (SAC, 2020a). L’approche à barrières multiples pour de l’eau potable saine met l’accent sur les SAEP municipaux reliés à une station de traitement de l’eau, les systèmes de conduites d’eau ainsi que la surveillance coordonnée. Dans de nombreuses collectivités autochtones, en particulier celles qui sont petites, éloignées et isolées, le réseau de distribution d’eau est différent des SAEP municipaux courants. Il comprend souvent les puits privés, les camions-citernes et les systèmes de conduite d’eau bien que certains ménages aient un accès limité, voire aucun accès, à un service d’alimentation en eau (Daley et coll., 2014; Patrick, 2018). De nombreuses collectivités autochtones font face à des défis, notamment une mauvaise qualité de l’eau de source, le manque d’équipement technologique destiné au traitement de l’eau, des systèmes inadéquats de distribution de l’eau ainsi que la contamination de l’eau à l’échelle locale et régionale causée par l’industrie locale. Les désavantages institutionnels, comme les normes de conception inadéquates des systèmes d’évacuation des eaux usées, la difficulté de maintenir en poste des opérateurs de station de traitement d’eau qualifiés, le manque de financement pour l’amélioration des SAEP et les limites de la capacité des camions-citernes à fournir une quantité suffisante d’eau pour répondre aux besoins des résidents, expliquent aussi en partie ces défis (Daley et coll., 2014; Patrick, 2018). Pour certains Autochtones, la méfiance à l’égard des SAEP, l’existence des aléas chimiques et biologiques, la préférence culturelle, le goût ou d’autres raisons les amènent parfois à dépendre de l’eau qu’ils ont eux-mêmes recueillie (Harper et coll., 2011; Goldhar et coll., 2013b). Cette eau recueillie non traitée peut être plus susceptible d’être contaminée, y compris en raison des risques liés aux changements climatiques. Tout agent pathogène présent dans l’eau (p. ex., agents infectieux causant des maladies à transmission vectorielle, contamination chimique provenant de sources de pollution à proximité ou agents pathogènes présents en raison d’une défaillance du système de traitement de l’eau) peut être consommé directement par les utilisateurs d’eau (Martin et coll., 2007; Harper et coll., 2011), causant des effets néfastes sur leur santé.
Les changements climatiques aggravent les problèmes actuels liés à l’eau auxquels sont confrontées les collectivités autochtones (Ford et coll., 2010; Andrey et coll., 2014; Patrick, 2018; SAC, 2019). Les changements de température peuvent avoir une incidence directe sur les installations de traitement de l’eau et des eaux usées ainsi que sur la sécurité alimentaire et la sécurité de l’eau potable. Les petites collectivités rurales et circumpolaires sont particulièrement vulnérables et doivent composer avec de nombreux risques interdépendants (Berner et coll., 2016). De nombreuses collectivités autochtones sont conscientes de ce risque, sont préoccupées par les impacts des changements climatiques sur la qualité de leur eau, la quantité d’eau à laquelle elles ont accès et leur sécurité hydrique (Picketts et coll., 2017; SAC, 2019) et reconnaissent la nécessité d’agir. Par exemple, la Stratégie nationale inuite sur les changements climatiques (2019) de l’Inuit Tapiriit Kanatami a défini la nécessité de s’adapter aux impacts des changements climatiques sur la santé, y compris ceux liés à l’eau, comme étant une action prioritaire de lutte contre les changements climatiques. La section 7.5 Mesures d’adaptation pour réduire les risques et le chapitre 2: Changements climatiques et santé des Autochtones du Canada abordent la façon dont les peuples autochtones s’adaptent aux impacts des changements climatiques sur la qualité de l’eau, la quantité d’eau et la sécurité de l’approvisionnement en eau.
7.3.4.3 Cryosphère
La cryosphère désigne l’ensemble des eaux et des sols gelés, y compris la neige, la glace, le pergélisol et le sol gelé de façon saisonnière. Au Canada, la cryosphère existe durant une partie de l’année dans les latitudes et les altitudes plus basses alors qu’elle est présente toute l’année dans les latitudes et les altitudes plus élevées (Bush & Lemmen, 2019). La cryosphère et, plus particulièrement, les régions arctiques sont considérablement touchées par les changements de température et de précipitations causés par les changements climatiques (Overland et coll., 2018). Les températures ont une incidence sur le moment, la durée et l’intensité des périodes de fonte ainsi que la probabilité de précipitations sous forme de pluie ou de neige. La neige réfléchit dans l’atmosphère une grande quantité du rayonnement solaire incident, et les changements de l’épaisseur de la neige ont des impacts sur la température du sol et l’épaisseur de la glace des lacs et des mers (Bush & Lemmen, 2019). Il semble que la saison durant laquelle il y a présence du manteau neigeux ait diminué dans la plus grande partie du Canada, et l’accumulation saisonnière de neige a probablement diminué de 5 % à 10 % depuis 1981. Les modèles climatiques prévoient que la période durant laquelle le sol sera recouvert d’une couverture neigeuse continuera de diminuer partout au Canada d’ici le milieu du siècle, indépendamment du scénario d’émissions (Bush & Lemmen, 2019).
Les changements dans la cryosphère sont susceptibles d’influencer de différentes façons la santé et le bien-être des Canadiens et des Canadiennes, en particulier ceux vivant dans les régions du Nord et de l’Arctique, ce qui comprend les impacts sur la sécurité alimentaire, les dommages aux infrastructures, l’émission de polluants persistants et les conséquences sur les réseaux de transport (Hovelsrud et coll., 2011; Arctic Monitoring and Assessment Programme [AMAP], 2015). Bien que les processus à l’origine de ces impacts soient complexes, dans le nord du Canada, ils peuvent généralement être liés à deux problèmes principaux : les changements de l’état des glaces et les changements du pergélisol.
Les changements liés à la quantité et à la qualité de la glace marine ont de vastes impacts sur les systèmes alimentaires et la navigation dans l’Arctique (Ford et coll., 2009). La réduction de la quantité et de la qualité de la glace marine a des impacts sur la diversité des animaux marins et leurs habitudes migratoires ainsi que sur la biodiversité globale de la région (AMAP, 2017). Ces changements peuvent, à leur tour, avoir une incidence sur l’accès aux sources d’alimentation traditionnelles pour les collectivités du Nord (voir le chapitre 8 : Salubrité et sécurité des aliments). En plus des impacts sur la vie marine, les changements liés à la quantité et à la qualité de la glace marine ont une incidence sur la capacité des Inuits et d’autres chasseurs du Nord de subvenir à leurs besoins alimentaires en raison de la capacité réduite de se déplacer en toute sécurité sur la glace. Un accès réduit à la terre limite également la capacité de transmettre le savoir traditionnel aux générations futures (SAC, 2019).
La formation annuelle des routes de glace dépend de la glace qui se forme sur les mers, les rivières et les lacs. L’utilisation de ces routes réduit considérablement les coûts d’expédition et le temps de transport, et celles-ci sont essentielles pour assurer les besoins des collectivités du Nord. Les changements climatiques ont une incidence sur l’utilisation de ces routes, par exemple, dans le Grand Nord ontarien (Hori et coll., 2018), et le réchauffement continu aura de vastes répercussions sur la vie quotidienne des collectivités du Nord, notamment sur les chaînes d’approvisionnement des établissements de santé et l’accès aux aliments du marché.
Les changements touchant l’environnement naturel ont également des impacts directs sur d’autres types d’infrastructures bâties partout dans l’Arctique. Une grande partie de l’infrastructure existante a été construite dans la perspective d’un pergélisol continu. Les changements que subit le pergélisol menacent l’intégrité structurale des bâtiments et des routes, y compris les établissements de santé ainsi que les installations de traitement de l’eau et des eaux usées. La dégradation du pergélisol a eu des impacts sur certains SAEP en causant des bris de conduites d’eau potable et d’égout, ce qui pourrait entraîner l’infiltration de contaminants dans l’eau potable (Lemmen et Warren, 2004). Par exemple, la ville d’Iqaluit, au Nunavut, a été touchée par le dégel du pergélisol causé par les changements climatiques, ce qui a provoqué d’importants dommages aux conduites de distribution d’eau et d’évacuation des eaux usées de la ville (George, 2019). En plus des risques liés aux infrastructures, les contaminants persistants actuellement contenus dans le pergélisol peuvent être libérés lors de la fonte du pergélisol (AMAP, 2015) (voir le chapitre 3 : Aléas naturels). Les températures plus chaudes des lacs d’eau douce, des étangs de toundra et des ruisseaux peuvent également entraîner un niveau plus élevé de méthylation bactérienne du mercure et un rejet plus important de mercure en raison du dégel du pergélisol (Berner et coll., 2016), ce qui pourrait avoir des répercussions sur la santé humaine.