« Les peuples autochtones s’appuient sur le savoir autochtone et la science depuis des millénaires pour comprendre les changements climatiques et environnementaux auxquels ils font face et y réagir… Le rythme des changements climatiques causés par l’homme et notre capacité d’y réagir représentent ce qu’il y a de différent et de difficile de nos jours. Nous devons corriger le chemin que nous empruntons et revenir aux relations spéciales, aux enseignements, aux connaissances et aux pratiques qui assurent le respect, l’honneur et la relation avec le monde naturel. » [traduction]
Le savoir autochtone est essentiel à la survie et à la résilience des peuples autochtones depuis des temps immémoriaux. Bien que ce savoir soit de plus en plus reconnu comme l’égal de l’information scientifique pour comprendre les changements climatiques et s’y adapter, la participation significative des peuples autochtones et de leurs systèmes de connaissances à la recherche et aux politiques sur les changements climatiques demeure un défi. Par exemple, le contenu axé sur les Autochtones a été sous-représenté dans les rapports d’évaluation du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), ainsi que dans les discussions stratégiques entourant la CCNUCC (Ford, 2012; Ford et coll., 2016b; Belfer et coll., 2019). Cette déconnexion s’explique, en partie, par la façon dont les peuples autochtones et les systèmes du savoir autochtone ont été présentés dans le discours occidental sur les changements climatiques; comme des victimes impuissantes avec des connaissances statiques qui sont de plus en plus minées ou rendues non pertinentes par le rythme rapide des changements climatiques (Ford et coll., 2016b). Les critiques du GIEC et de la CCNUCC laissent entendre que cela contribue à l’homogénéisation des connaissances, des cultures et des apprentissages, et inclut les peuples autochtones dans les groupes sociaux marginalisés ou vulnérables sans contextualiser leurs expériences vécues uniques ou leurs réalités culturelles et coloniales particulières (Ford et coll., 2016b). La participation accrue des universitaires, des détenteurs de connaissances et des organisations autochtones s’accroît lentement grâce à de nouvelles procédures, comme la création de la Plateforme des communautés locales et des peuples autochtones (PCLPA) à la Conférence des Parties (COP) 21 de la CCNUCC en 2015 et du Groupe de facilitation à la COP 24 de la CCNUCC en 2018. La PCLPA constitue le premier « espace officiel, permanent et distinct » créé pour les peuples autochtones et axé sur les connaissances, la capacité de mobilisation et les politiques et mesures relatives aux changements climatiques (Belfer et coll., 2019, page 27). Bien qu’elle soit reconnue comme une première étape importante, la PCLPA a le potentiel de « cloisonner » les préoccupations des peuples autochtones à cette plateforme exclusivement (Reed, 2019) et de miner probablement le statut et les droits des peuples autochtones « en regroupant et en fusionnant les peuples autochtones avec les collectivités locales » [traduction] (Conseil circumpolaire inuit, 2020, page 2).
L’utilisation du savoir autochtone dans la recherche sur les changements climatiques et la santé évolue. Le savoir autochtone a d’abord été utilisé conjointement avec les connaissances scientifiques pour documenter les observations des changements climatiques et environnementaux (Riedlinger et Berkes, 2001). Plus récemment, il a été utilisé dans des études communautaires menées par des Autochtones ou auxquelles des Autochtones ont participé afin de déterminer leur exposition et vulnérabilité aux impacts des changements climatiques, aux répercussions réelles et perçues sur leur santé et leur bien-être, et aux stratégies d’adaptation possibles (Cameron, 2012; Donatuto et coll., 2014; Cunsolo Willox et coll., 2015; Rosol et coll., 2016; Ford et coll., 2018; Sawatzky et coll., 2018; Kipp et coll., 2019a; Sawatzky et coll., 2020). Les systèmes du savoir autochtone et des connaissances scientifiques peuvent s’intensifier et se renforcer mutuellement puisqu’ils cernent différents types d’impacts causés par les changements climatiques (Royer et coll., 2013; Baldwin et coll., 2018; Makondo et Thomas, 2018). Le savoir autochtone peut contribuer à la compréhension des changements environnementaux parce qu’il porte principalement sur la dynamique de l’ensemble du système en fonction de multiples facteurs de stress et non d’un seul phénomène (Mantyka-Pringle et coll., 2017).
Le savoir autochtone peut aider à la prise de décisions relatives aux changements climatiques et à la santé à divers niveaux afin que puissent en profiter une gamme d’intervenants, y compris des chercheurs, des décideurs et des membres de la collectivité (Finn et coll., 2017; Mantyka-Pringle et coll., 2017). Il a servi à établir de multiples indicateurs et données de référence sur les écosystèmes, qui sont utiles pour déterminer les secteurs prioritaires aux fins de la surveillance, la protection et l’assainissement de l’environnement (Uprety et coll., 2012; Sanderson et coll., 2015; York et coll., 2016; Baldwin et coll., 2018; Gérin-Lajoie et coll., 2018). Il a également contribué à élaborer des modèles prédictifs pour déterminer les vulnérabilités aux changements climatiques et les options d’adaptation, comme les impacts possibles sur les moyens de subsistance traditionnels et les effets subséquents sur la santé (Turner et Spalding, 2013; Research Northwest et Herschfield, 2017; Flynn et coll., 2018). Le savoir autochtone a été jumelé (et pourrait être jumelé davantage) aux connaissances scientifiques pour améliorer les évaluations des risques, permettre aux gens de prendre des décisions éclairées quant aux risques et aléas liés à la température aux fins de la récolte traditionnelle et des activités d’utilisation des terres (Riedlinger et Berkes, 2001; Pennesi et coll., 2012; Deemer et coll., 2018) et contribuer à la planification et à l’emplacement de futures infrastructures (Turner et Spalding, 2013; Flynn et coll., 2019). Les valeurs fondamentales et les enseignements traditionnels liés au savoir autochtone, qui ont trait à la réciprocité, à l’interdépendance et à la spiritualité, peuvent enseigner la gérance de l’environnement et améliorer la gouvernance de la biodiversité et des écosystèmes pour la santé et le bien-être humains (Tengö et coll., 2014; Hansen et Antsanen, 2018). Ce volet du savoir autochtone est pertinent non seulement pour les collectivités autochtones, mais aussi pour les collectivités non autochtones, à l’échelle nationale et mondiale (Maldonado et coll., 2016; Hansen et Antsanen, 2018).
Par le passé, l’inclusion des systèmes de savoir autochtone dans les interventions d’adaptation a varié (Ford et coll., 2017) non seulement parce que les considérations associées aux changements climatiques revêtent souvent une importance secondaire dans la prise de décisions, mais aussi parce que tous les ordres de gouvernement ne savent pas encore vraiment ce que signifie d’inclure les systèmes de savoir autochtone dans leurs interventions et quelle est la meilleure manière de le faire (MacDonell, 2015; Ford et coll., 2017; Ford et coll., 2018). Il existe des exemples de l’intégration du savoir autochtone dans les activités de conception, de suivi et d’évaluation des interventions d’adaptation (Debels et coll., 2009; Champalle et coll., 2015; Ford et coll., 2018). Les principes clés de ces interventions sont l’adoption d’approches communautaires, participatives et collaboratives et l’intégration de la science et des systèmes de savoir autochtone, grâce à l’établissement de cadres de coproduction visant à régler les problèmes d’iniquité en matière de pouvoir. Plusieurs études de cas de coproduction du savoir laissent entendre que cette approche favorise la participation et l’acceptation communautaires, veille à ce que les besoins et les intérêts des Autochtones soient intégrés de façon significative, traduit le contexte local en matière de ressources disponibles et de capacité de mise en œuvre, et permet à l’enseignement d’optimiser la capacité adaptative (Armitage et coll., 2011; Reid et coll. 2014; Schuttenberg et Guth, 2015; Ford et coll., 2016a; Diver, 2017). Cependant, Latulippe et Klenk (2020) mettent en garde les chercheurs en coproduction du savoir et les invitent à « s’éloigner de la recherche visant à mieux « intégrer » le savoir autochtone à la science occidentale » et à faire place plutôt au leadership de la recherche autochtone et à la souveraineté du savoir autochtone.
Les peuples autochtones du Canada et du monde entier ont de plus en plus recentré la discussion sur les changements climatiques, la recherche et les politiques dans le cadre d’une approche fondée sur les droits et les distinctions. Depuis plus de deux décennies, les Inuits signalent comment les changements rapides du climat ont perturbé leurs pratiques et savoir associés à un mode de vie fondé sur la terre, la mer et la glace. Ils ont aussi parlé des impacts directs et indirects sur leur santé et leurs droits de la personne causés par les changements climatiques (Prior et Heinämäki, 2017; ITK, 2019b). Par exemple, en 2005, Sheila Watt-Cloutier, alors présidente du Conseil circumpolaire inuit, a présenté au nom des Inuits du Canada et des États-Unis à la Commission interaméricaine des droits de l’homme une « pétition inuite » qui demandait un redressement par suite des contraventions aux droits de la personne causées par les impacts des changements climatiques en raison des émissions de gaz à effet de serre produites par les États-Unis (Sabine Center for Climate Change Law, 2005). Bien que la pétition n’ait jamais été menée à terme, divers organismes des Nations Unies ont reconnu la menace que posent les changements climatiques pour la « jouissance de tous les droits de l’homme, y compris les droits à la santé, à l’eau, à l’alimentation, au logement, à l’autodétermination et à la vie elle-même » [traduction] (Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l’homme, 2018, page 1). Le besoin de justice climatique et la participation des populations touchées de façon disproportionnée à la recherche de solutions aux changements climatiques ont également été reconnus. Les changements climatiques sont « intrinsèquement discriminatoires » en ce sens que les peuples autochtones, comme d’autres populations, sont les plus vulnérables aux changements climatiques, mais y ont le moins contribué (Conseil des droits de l’homme des Nations Unies [CDHNU], 2016, page 19). À ce titre, les décisions concernant les interventions en matière d’adaptation aux changements climatiques « doivent être conformes aux obligations envers ces peuples, y compris, le cas échéant, l’obligation de faciliter leur participation au processus décisionnel et de ne pas aller de l’avant sans leur consentement préalable, donné librement et en connaissance de cause » [traduction] (CDHNU, 2016, page 20).