Afin de prédire le changement climatique à venir, il faut d’abord prévoir le futur forçage climatique, notamment l’évolution des facteurs externes qui causent les changements climatiques, tels que les GES et les aérosols. Ces prévisions, à leur tour, proviennent des futurs scénarios d’émissions de GES et d’aérosols, basés sur diverses hypothèses sur le changement des activités humaines telles que la consommation de combustibles fossiles et l’affectation des terres. Les scénarios d’émissions futures sont généralement élaborés à l’aide de modèles d’évaluation intégrée, qui jumellent la modélisation de l’économie, de la démographie et des politiques à des modèles climatiques physiques simplifiés pour estimer l’effet de la croissance de la population, du développement économique, de l’affectation des terres et des effets de plusieurs options stratégiques sur les émissions qui causent le changement climatique. Puisqu’il existe beaucoup d’incertitude à l’égard des aspects sociaux et économiques de telles prévisions, on utilise généralement une gamme de scénarios, dont certains représentent ce qui se passera si on prend des mesures énergétiques pour réduire les émissions tandis que d’autres présentent les résultats de mesures plus limitées.
Les prévisions du cinquième Rapport d’évaluation du GIEC (voir chapitre 1) étaient basées sur une série de scénarios de forçage climatique à l’avenir appelés profils représentatifs d’évolution de concentration (RCP) qui couvrent la période à partir de 2006 (van Vuuren et coll., 2011). On désigne les RCP d’un nombre qui indique le taux de changement du forçage radiatif – le déséquilibre entre la quantité de rayonnement solaire qui pénètre dans le système climatique et le rayonnement infrarouge à grande longueur d’onde qui en sort, causé par les gaz à effet de serre et d’autres facteurs externes (voir le chapitre 2, section 2.3.1) – vers la fin du XXIe siècle. RCP2.6 représente un scénario de faibles émissions où le changement au forçage radiatif est d’environ 2,6 W/m2, RCP4.5 et RCP6 présentent des scénarios de taux intermédiaire d’émissions, et RCP8.5 représente un scénario où les émissions de GES continuent à augmenter, entraînant un forçage radiatif d’environ 8,5 W/m2 à la fin du siècle. Dans le présent rapport, on appellera les scénarios basés sur RCP2.6 « scénarios de faibles émissions », ceux basés sur RCP4.5 et RCP6 seront les « scénarios d’émissions moyennes » et ceux basés sur RCP8.5 seront les « scénarios d’émissions élevées ». Pour chaque RCP, les modèles d’évaluation intégrée offrent une série chronologique exhaustive d’émissions et de concentrations de GES particuliers (CO2, méthane [CH4], oxyde nitreux [N2O], chlorofluorocarbones, etc.), ainsi que les émissions d’aérosols et les changements d’affectation des terres. Ces agents de forçage sont introduits dans les modèles du système terrestre, qui simulent la réaction future du système climatique à ces scénarios de forçage externe, y compris les rétroactions biogéochimiques.
Les RCP remplacent les scénarios d’émissions du SRES (Nakicenovic et coll., 2000), qui ont servi de base aux essais de simulation dont on a rendu compte dans le quatrième Rapport d’évaluation du GIEC. Malgré certaines différences dans les détails, le scénario de forçage SRES A2 est plus ou moins semblable au scénario RCP8.5, le scénario SRES A1B représente un point environ médian entre RCP6 et RCP8.5, et le scénario SRES B1 est comparable au scénario RCP4.5 (Burkett et coll., 2014). Aucun scénario de forçage du SRES n’est comparable au scénario RCP2.6. Ces scénarios de forçage sont mis à jour régulièrement après quelques années, et de nouveaux profils socioéconomiques partagés (basés sur les scénarios RCP) seront utilisés dans les essais de simulation qui contribueront au sixième Rapport d’évaluation du GIEC (Riahi et coll., 2017).
Dans tous les cas de figure, le CO2 est l’agent principal contribuant au forçage radiatif des changements climatiques historiques et projetés, suivi par le CH4 et le N2O (Myhre et coll., 2013; Collins et coll., 2013). Les changements apportés aux émissions de CO2 d’origine humaine seront les principaux facteurs qui détermineront les futurs changements climatiques.
La figure 3.1 illustre les aspects des scénarios RCP. Il est important de noter qu’aucun degré de probabilité n’est attribué aux scénarios de forçage – tous sont considérés comme également probables, toutefois l’augmentation continue des émissions rendrait les scénarios de faibles émissions difficiles à réaliser (Millar et coll., 2017). Le degré de variation des RCP représente, dans une certaine mesure, notre incertitude au sujet des futurs changements des facteurs socioéconomiques, notamment le dynamisme des mesures d’atténuation des émissions que l’on mettra en place, et donc le rythme auquel l’humanité continuera à entraîner les changements climatiques. Le scénario de faibles émissions (RCP2.6) permettrait de limiter l’augmentation de la température mondiale à environ 2 °C au-dessus du niveau préindustriel (voir la section 3.3.3) et serait donc plus ou moins conforme à l’objectif de température mondiale établi dans le cadre de l’Accord de Paris (CCNUCC, 2015). Pour que ce scénario soit possible, le plafonnement des émissions mondiales doit être atteint presque immédiatement et les émissions doivent être réduites à pratiquement zéro bien avant la fin du siècle. Les émissions annuelles de CO2 à l’échelle mondiale ont atteint 10 Gt de carbone (environ 37 GtCO2) en 2017 (Le Quéré et coll., 2017).